La fiche RNCP et son lien avec la démarche compétences au sein des formations d’ingénieurs et de Bachelor en sciences et ingénierie


Par Didier Erasme, membre de la Commission des titres d’ingénieur

Un coup de projecteur sur la démarche compétences

La mise en place de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », le regroupement au sein de France compétences de responsabilités liées à la formation professionnelle et les évolutions des modes de financement des filières de professionnalisation et d’apprentissage, ont placé l’enregistrement au répertoire national des certifications professionnelles et la nouvelle fiche RNCP en point focal pour les écoles d’ingénieurs.

Dans ce contexte, la CTI a publié une aide à la rédaction des fiches RNCP pour le titre d’ingénieur diplômés ou les Bachelor en sciences et ingénierie.

La nouvelle structuration de ces fiches RNCP avec l’introduction des blocs de compétences[1] a éclairé d’un jour nouveau les réflexions sur l’approche compétences dans l’enseignement supérieur. Cette notion d’approche compétences n’est pas une nouveauté au sein de l’écosystème des écoles d’ingénieurs. Dans le prolongement du processus de Bologne, des descripteurs de Dublin et des « European standards and guidelines » (ESG) ainsi que du référentiel d’accréditation du label EUR-ACE® de l’ENAEE pour les formations d’ingénieurs, la CTI a inclus, depuis plusieurs années, la démarche compétences au cœur de son référentiel propre R&O.

Force est de constater, néanmoins, que cette (r)évolution se met en place progressivement et inégalement dans les écoles. Si les compétences sont assez bien décrites comme le sont leurs liens avec les unités d’enseignement, en revanche les avancées concernant les méthodes d’évaluation des compétences sont moins marquées.  Dans tous les cas, l’apparition des blocs de compétences au sein des fiches RNCP et leur corolaire – la possibilité de construire une certification par validation successive de blocs dans le cadre d’un parcours « tout au long de la vie » – a généré un certain sentiment d’urgence au sein des écoles.

La fiche RNCP comme appui à la construction d’une démarche compétences au sein des formations d’ingénieurs

La conception d’une structure de formation orientée compétences représente une évolution fondamentale du processus d’apprentissage. L’objectif du présent article est de montrer comment la rédaction de la fiche RNCP alimente les travaux autour de la démarche compétences au sein d’une formation d’ingénieur ou de Bachelor en sciences et ingénierie, en particulier parce que la CTI a la charge de la validation des fiches RNCP avant leur publication par France compétences.

En revanche, cet article  n’est pas consacré à l’analyse de tous les tenants et aboutissants d’une mise en place globale d’une démarche compétences au sein des écoles d’ingénieurs. Depuis plusieurs années, la CTI accorde une importance à l’approche compétences dans les formations qu’elle évalue ; les équipes chargées d’audits s’attachent à analyser l’avancée de la démarche : structure des apprentissages, conception des modalités d’évaluation, appropriation de la démarche par le corps enseignant, assimilation de celle-ci par les apprenants. En revanche, la CTI ne se place pas comme prescripteur au regard de la méthodologie et des choix conceptuels. Les écoles trouveront une littérature abondante sur le sujet avec des documents qui font référence.

Afin de placer les éléments d’analyse en regard les uns des autres, il est important de bien comprendre dans quel esprit la fiche RNCP est conçue et à qui elle s’adresse concrètement. De par son origine, fortement ancrée à la notion de certification des formations professionnelles, la déclinaison en référentiels d’activités, de compétences et d’évaluation est liée à l’insertion professionnelle, aux formations continues et à la formation tout au long de la vie. Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur aux documents fournis par France compétences dans sa base documentaire (y compris aux textes règlementaires) :

Les destinataires des fiches RNCP sont, d’une part, les futurs employeurs des diplômé(e)s détenteurs des compétences attestées par l’acquisition de la certification ou éventuellement de certains blocs de compétences parmi un ensemble, et, d’autre part, les futurs apprenants en recherche d’une formation, d’un complément de formation, d’une réorientation, etc. (par le biais éventuellement d’organismes d’orientation et de conseil). Le concepteur d’une fiche RNCP doit, bien évidemment, garder cet élément présent à l’esprit lors de sa rédaction.

Quelle qu’en soit la diversité – depuis la recherche et développement (demandant parfois un complément de formation) jusqu’aux fonctions de relation avec les utilisateurs de produits ou de technologies en passant par les fonctions opérationnelles en logistique ou production, le diplôme d’ingénieur est construit dans une optique professionnalisante. Cette diversité n’a d’égale que la réponse à certains critères qui assurent l’homogénéité structurelle de l’appellation et qui s’expriment dans le référentiel d’accréditation des diplômes d’ingénieurs (R&O).  Le plus récent Bachelor en sciences et ingénierie suit cette même orientation reprise dans le référentiel d’évaluation des critères permettant de conférer le grade de licence. Cette approche professionnalisante implique que les offres des écoles d’ingénieurs évaluées par la CTI sont en capacité naturelle d’épouser le format des nouvelles fiches RNCP si tant est qu’une conception de la formation en des termes d’approche compétences y est développée.

La rédaction des fiches RNCP, avec leur structuration en blocs de compétences capitalisables, impose aux écoles une réflexion sur les référentiels activités et compétences déployées au sein du cursus et sur la corrélation entre les composantes de la formation (acquis d’apprentissage) et les objectifs terminaux de celle-ci, dans une perspective « métier », soit une approche finaliste et pragmatique. De ce fait, le contenu de la fiche ne résume pas dans son intégralité la démarche compétences développée dans le cadre d’une formation ; il s’appuie néanmoins sur l’ensemble des éléments qui fondent celle-ci. 

La présente période de transition a confronté une partie des écoles à la nécessité de construire ex nihilo, ou quasiment, et parfois dans l’urgence, des fiches RNCP nouveau modèle sur la base d’une réflexion balbutiante en matière de démarche compétences. Il est alors important de bien considérer que le travail de mise en adéquation de la fiche RNCP avec les attendus de la CTI et de France compétences, même abouti, est loin de représenter l’ensemble de la procédure de mise en place de la démarche elle-même au sein de la formation. La rédaction de la fiche n’en constitue pas moins une réelle opportunité de mettre en mouvement un approfondissement de l’approche par compétences ou de l’approche programme. Comme évoqué ci-dessus, la littérature sur le sujet est abondante[2]

A contrario, l’expérience récente des évaluateurs de la CTI a montré que la rédaction des fiches RNCP par les écoles démontrant une certaine maturité dans la mise en place de l’approche compétences s’est avérée partiellement inadaptée dans un premier temps. Les réflexions actuelles sur l’importance des savoir-être et savoir-agir, dans la panoplie des compétences des professionnels en activité, en premier lieu les ingénieurs pour ce qui nous concerne, a tiré la démarche compétences vers une mise en valeur des compétences dites transversales ou génériques. Ceci a conduit, à juste titre, à une focalisation sur les « éléments essentiels de toute formation d’ingénieur » (pour reprendre la terminologie du R&O 2020) exprimés ainsi ou retravaillés pour s’adapter à une conception « maison » de l’ingénieur. Mais ce focus s’est fait alors au détriment de l’approche « métier » caractéristique de la fiche RNCP. Les couplages entre ces compétences transverses et les choix stratégiques de l’école sur les contenus techniques de la formation, répondant aux emplois visés, locaux ou nationaux, spécialisés ou généralistes et souvent liés aux domaines d’excellence du corps enseignant et enseignant-chercheur, ont été gommés, aboutissant à une uniformisation des fiches. Les évaluateurs CTI des fiches ont opté sciemment pour que cet ADN de l’école accréditée soit clairement exposé dans les fiches sachant que les certifications RNCP des diplômes d’ingénieur et de Bachelor en sciences et ingénierie ont cette particularité d’afficher dans leur intitulé le nom de l’école. 

En accord avec France compétences, les évaluateurs CTI des fiches RNCP ont ainsi développé une méthode d’analyse et de validation des fiches basée sur une demande d’une contextualisation des « compétences transversales » (que tout ingénieur doit posséder) afin que celles-ci soient couplées et associées au domaine applicatif ou au mode d’appréhension des compétences de nature technique et scientifique. La conception d’une fiche RNCP agit comme une force de rappel au sein du développement d’une démarche compétences qui accroche cette dernière à une vision « métier » de la certification (voir note en bas de page supra). L’intitulé d’un bloc de compétences devra s’appuyer concrètement sur une « activité professionnelle » et rarement, voire jamais, être en situation de pouvoir se décliner pour n’importe quelle certification d’ingénieur voire n’importe quelle certification de cadre supérieur comme cela se voit couramment. 

On notera que la définition insiste sur un second point important, celui de l’évaluation. Les spécialistes de l’approche compétences n’en seront pas surpris et savent que cet élément de mise en place de la démarche est loin d’être le plus simple. La procédure associe la vérification de l’acquisition de savoirs fondamentaux ou empirique et savoir-faire et l’évaluation d’un savoir-agir qui traduit une compétence qui n’est perceptible qu’en situation concrète et pratique, … professionnelle. Cette réflexion subtile de la démarche compétences se retrouve résumée dans la fiche RNCP qui sur ce point encore incite les concepteurs de la formation à aborder un point clef de la démarche.

En conclusion, la fiche RNCP est loin d’être l’alpha et l’oméga de la démarche compétences à mettre en place lors de la conception ou du développement d’une formation, quelle que soit la voie d’apprentissage choisie pour l’acquisition des éléments constituants de la certification. Avec son approche « métier », la fiche RNCP n’en est pas moins un rouage important qui permet une inclusion pragmatique de la démarche compétences dans un processus de certification professionnelle et dans une possibilité d’acquisition progressive de compétences dans une approche de la formation « tout au long de la vie ». Cette vision conceptuelle et son association avec la structure de la nouvelle fiche RNCP a amené les évaluateurs CTI des fiches RNCP à établir une série de principes minimaux de rédaction permettant de traduire ces choix et d’obtenir une homogénéité certaine des fiches pour les formations d’ingénieur (et maintenant des Bachelor en sciences et ingénierie) tout en laissant, comme il est habituel pour la CTI, une marge de manœuvre importante autorisant les démarches innovantes. L’ensemble de ces principes de rédaction fait l’objet d’un document déposé sur le site Internet de la CTI.


[1] Les certifications professionnelles sont constituées de blocs de compétences, ensembles homogènes et cohérents de compétences contribuant à l’exercice autonome d’une activité professionnelle et pouvant être évaluées et validées.

[2] Un échantillon de citations accompagnées d’une analyse récente peut être trouvée dans : Concilier trois innovations curriculaires : le passage aux blocs de compétences, l’approche par compétences et l’approche programme de Benoît Escrig 

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