Synthèse du focus #3 : Innovation et Entrepreneuriat


Patrick Obertelli, membre de la CTI, Collège académique

Afin de partager les dynamiques en œuvre vis-à-vis d’enjeux clés dans les formations d’ingénieur, la Commission des titres d’ingénieur a demandé aux écoles auditées en 2018-2019 d’expliciter les avancées et questionnements dans leur établissement sur l’un des trois focus : Développement durable et Responsabilité sociétale, Santé et Sécurité au travail, Innovation et Entrepreneuriat. Un corpus de 10 à 14 documents a ainsi été recueilli par focus, dont les analyses ont été confiées à des experts. 
La mise en commun de l’ensemble de ces travaux révèle que les trois domaines des focus sont essentiels pour les métiers d’avenir. Ils prennent sens dans le rôle futur de l’ingénieur à la fois pour lui-même et en qualité de manager. À ce titre, ces domaines ne sont pas des éléments à part de la formation des ingénieurs, mais en sont partie intégrante.

Développons à présent le propos pour chacune des thématiques en donnant la parole aux trois experts auprès de la CTI :

  • Gérald Majou (CGE) pour le focus Développement durable et Responsabilité sociétale (à consulter ici)  ;
  • Michel Bridot (INRS) pour le focus Santé et Sécurité au travail (à consulter ici)  ;
  • Dominique Frugier (École Centrale de Lille) pour le focus Innovation et Entrepreneuriat, à consulter ci-dessous. Concernant ce dernier thème, seront distingués pour plus de lisibilité un focus innovation et un focus entrepreneuriat. Nous reprendrons en conclusion quelques points clés transversaux aux trois focus.

3. Focus innovation 

Les focus innovation et entrepreneuriat concernent 14 écoles.

3.1. Vision et engagements de l’établissement

Le référentiel de la CTI a intégré plusieurs préoccupations actuelles dans le management de l’innovation des entreprises, relatives aux méthodologies agiles de projets en lien avec les besoins des utilisateurs et les besoins de disposer d’ingénieurs aux méthodes agiles, capables de comprendre l’environnement sociétal de leur projet. Les jeunes ingénieurs recherchent des environnements de travail collaboratifs, ouverts et portant sur des projets correspondant à leurs valeurs. Le développement des startups influence fortement la demande des entreprises en profils de jeunes adaptés à ces éléments de contexte.

Les écoles de l’échantillon semblent toutes partager ce constat.

3.2. Programme et méthodes pédagogiques

Les modèles pédagogiques

Six écoles affirment que la capacité des ingénieurs à innover est au cœur de leur pédagogie ; l’innovation, l’expérimentation, l’apprentissage de l’autonomie mais aussi du travail collaboratif créatif sont les concepts retenus comme fils conducteurs de leurs réformes pédagogiques. Pour une de ces écoles, l’innovation « fait partie de son code génétique ».

Parmi elles, cinq écoles mettent en avant des politiques structurées et des moyens d’évaluation des élèves et des activités, ainsi que des moyens de formation des enseignants. Une école déclare organiser régulièrement un séminaire avec l’appui de ressources en sciences de l’éducation. Les autres écoles mettent en œuvre des modules de projets d’innovation. 

Pour qualifier les pédagogies utilisées, la liste « à la Prévert » des méthodologies et des principes d’action est : open innovation, expérimentation, learning by doing, Apprentissage par problèmes, lean start updesign thinkingeffectuationhow to think out of the box, rendre l’étudiant acteur de son apprentissage, apprentissage de l’autonomie. Toutes les écoles ont au moins utilisé un de ces termes. Même si les marges de progrès en pédagogie de l’innovation sont conséquentes à l’échelle de l’échantillon examiné, la volonté de progresser est exprimée par toutes.

Développement de la pédagogie par projets et liens avec l’approche utilisateur

Les activités de pédagogie par projet se sont généralisées. La pédagogie ouverte à la créativité des élèves est souvent plus facile à mettre en œuvre dans les écoles généralistes que dans les écoles spécialisées. Des contextes très spécifiques existent aussi, comme celui des écoles d’informatique ou de numérique, où les méthodes agiles de projets et le besoin d’innovation s’imposent dès le départ dans la pédagogie.

Qu’entend-on par innover ? Les réponses peuvent être différentes. 

La grande majorité des formations (12 sur 16) développent des activités de projets qui doivent apporter une réponse nouvelle à un besoin (qu’on peut aussi susciter), ceci nécessitant un travail d’identification de ces besoins, fonctionnels et économiques. Les entreprises demandent de plus en plus que les jeunes diplômés aient une approche de l’utilisateur, et la majorité des écoles l’a bien perçu.

Cela se traduit dans plusieurs cas par la demande connexe faite aux étudiants, au-delà de la production d’un prototype, de celle d’un plan d’affaires ou business plan. Il existe alors souvent une connexion dans l’école entre les formations en innovation et en entrepreneuriat.

Il demeure des cas qui se marginalisent où l’innovation n’est pas perçue correctement. Deux écoles travaillent avec des entreprises, mais se définissent comme exécutantes de projets et non liées à leur conception. Deux autres écoles confondent le métier d’ingénieur innovant et celui de chercheur, dédiant les sujets de projets aux unités de recherche de l’école.

Créativité et impact sociétal de l’innovation

Les écoles étaient interrogées sur ces deux points. La créativité fait l’objet de modules spécifiques déclarés par 8 formations. Au-delà de la formation, des hackatons et des concours d’innovation sont également organisés.

L’évaluation de l’impact sociétal des projets d’innovation n’est pratiquement pas documentée dans les focus. Pourtant, on constate que dans la majorité des écoles, les activités de projets sont reliées d’une manière ou d’une autre aux enseignements de SHS (sciences humaines et sociales).

Les Fab Lab : les liens avec le territoire

L’émergence des Fab Lab est récente. 7 écoles ont créé un Fab Lab sur leur site, quatre travaillent en partenariat avec un Fab Lab externe (en partenariat avec d’autres établissements d’enseignement supérieur ou créé par une collectivité territoriale). 

On pourrait penser que les écoles ont apporté une réponse rapide à un effet de mode, mais toutes les informations données montrent que les projets correspondent à des besoins explicités. Au minimum il s’agit de créer des ateliers avec des matériels d’une configuration et d’une technologie correspondant aux activités économiques nouvelles. Mais l’organisation interne de « l’atelier » a aussi évolué car elle doit favoriser le travail collaboratif et la conception. 

Cette évolution dans les écoles est très positive. L’usage de l’appellation Fab Lab est néanmoins à discuter. Ces Fab Labs sont plutôt des makerspaces,et non des tiers lieux ouverts à d’autres publics que celui du personnel et des étudiants de l’école. D’un côté on imagine bien les problèmes de sécurité et de régulation posés par une ouverture à d’autres publics. D’un autre côté l’école y perd l’occasion de faire se rencontrer des profils d’étudiants différents. La littérature est abondante sur les avantages pour l’innovation de la pluridisciplinarité et de la transdisciplinarité. Une école se distingue ainsi : (notre Fab Lab) « accueille étudiants et associations étudiantes de l’école, mais aussi des étudiants entrepreneurs, des diplômés, des doctorants, des chercheurs, des start-uppers, des artisans et des entreprises régionales ».L’innovation apparaît par ailleurs dans quatre cas comme l’occasion d’une ouverture sur le territoire de l’école. Les élèves y traitent en effet de projets relatifs à la cité et au territoire, avec des collectivités et des entreprises. L’école y gagne en retour dans son assise institutionnelle

3.3. Evaluation des compétences         

Comme dans toute démarche qualité, les résultats doivent être évalués en regard des objectifs. Seules deux écoles évoquent cette question en faisant état d’une démarche structurée. On note que dans leur démarche, l’environnement numérique d’apprentissage est propice à ce type d’évaluation.

L’impact sur le comportement des élèves nécessite la plus grande attention, des appuis méthodologiques et une formation adaptée des encadrants. Une école s’exprime ainsi sur le sujet : « Au-delà de mettre en place une formation pour les étudiants, il est impératif d’avoir un personnel d’enseignants chercheurs formés aux innovations pédagogiques, des moyens et une large place laissée à l’expérimentation pédagogique ».

L’innovation requiert donc de la part des encadrants des écoles des compétences dédiées ou complémentaires en sciences de l’éducation. 


4. Focus entrepreneuriat

4.1. Vision et engagements de l’établissement

On assiste à un changement de paradigme récent et significatif dans l’implication des écoles vis-à-vis de l’entrepreneuriat. Il y a à peine trois ans, la CTI, comme d’autres instances, estimait qu’il fallait inciter les écoles à diffuser un message encourageant l’entrepreneuriat, en dispensant au minimum une sensibilisation des élèves. En peu de temps finalement, le résultat est que toutes les écoles observées ici ont une action volontaire et construite autour de l’entrepreneuriat, certes à des degrés divers. 

Les dilemmes sur les moyens de mener des actions se sont levés :

  • La question n’est plus de créer une chaîne de valeur de la formation et de l’accompagnement en entrepreneuriat, impliquant des moyens lourds en interne comme la création d’un incubateur, puisque des structures se sont multipliées dans l’environnement, offrant aux étudiants une suite à la sensibilisation et à la formation pour faire aboutir des créations ;
  • Les animations participant à la sensibilisation sont proposées et souvent financées intégralement par des acteurs de l’écosystème entrepreneurial. Cet écosystème est très demandeur de profils d’élèves ingénieurs ;
  • Il existe désormais des pédagogues de l’entrepreneuriat, dans le corps professoral qui lui-même s’est intéressé à l’entrepreneuriat, mais aussi du fait des partenariats avec les PEPITE, ou dans l’écosystème où les accompagnants de projets sont formés à la pédagogie, et enfin chez les alumni créateurs d’entreprises.

Ainsi, la sensibilisation à la création d’entreprise, qui relevait d’une volonté citoyenne d’encourager l’entrepreneuriat chez les diplômés, semble pleinement entrée dans les stratégies et les valeurs des écoles d’ingénieurs.

4.2. Programme et méthodes pédagogiques

Toutes les écoles offrent désormais des formations à l’entrepreneuriat et sont en partenariat avec un incubateur pour les porteurs de projets. Les modèles pédagogiques de formation et les partenariats sont différenciés.

Couverture par les formations et modèles :

Toutes les écoles proposent aux élèves des formations à l’entrepreneuriat, en interne ou en partenariat, en général sur la base du volontariat. La création des PEPITE et des formations D2E a permis aux écoles, qui n’avaient pas d’autre solution que d’externaliser la formation, de la faire ainsi assurer dans de bonnes conditions. Deux écoles privées notent toutefois des problèmes d’accès aux PEPITE, dans la mesure où elles ne font pas partie de la COMUE gérant le PEPITE.

Selon les 16 diplômes observés :

  • 9 diplômes comportent des formations en interne à l’école, dont deux en partenariat avec une école de commerce et une en commun avec une autre école d’ingénieur. Parmi elles, 6 font l’objet d’une filière de dernière année, la plupart du temps avec une sélection à l’entrée. Ces formations spécialisées sont en général précédées dans les années antérieures de modules de formation pour tous, intégrés le plus souvent dans ceux de management ;
  • 4 diplômes externalisent totalement la formation vers les PEPITE, mais procèdent en interne à des animations de sensibilisation ;
  • 4 diplômes mixent les moyens internes de formation et ceux du PEPITE.

Parmi des exemples remarquables :

  • Une école qui externalise la formation vers un PEPITE y relève les avantages en termes de moyens, mais aussi la possibilité qu’elle juge primordiale de faire se rencontrer des publics de formations diversifiées. Le besoin d’échanges pluridisciplinaires pour les étudiants est souvent exprimé ;
  • Un diplôme comporte le terme entrepreneuriat dans son titre et l’entrepreneuriat est présent dans la formation d’ingénieur dès la première année. La pédagogie par projet est au cœur de toute cette formation.

D2E, Statut National d’Étudiant Entrepreneur (SN2E), stages dédiés aux projets

D2E : 3 écoles ont un partenariat abouti avec un PEPITE. Il existe deux types de problèmes :

  • Difficulté d’intégrer un D2E dans la maquette pédagogique ;
  • Difficulté institutionnelle avec la COMUE.

SN2E : Seules 4 écoles font référence au Statut National d’Étudiant Entrepreneur (SN2E)

Stages et PFE dédiés à l’entrepreneuriat

Seules 3 écoles évoquent cette possibilité. Il est probable que le sujet ait été oublié dans le focus par les écoles (deux autres écoles connues pour le faire ne le mentionnent pas), bien que la question soit posée en clair dans le cadre du focus.

Les questions relatives au D2E, au SN2E et aux stages dédiés méritent d’être approfondies pour identifier les points de blocage et des solutions.

Le suivi par une école des alumni créateurs est très difficile dans la pratique, les formations conduisant les ingénieurs à créer vite ou plus tard. Suivre les créations est une question en rapport avec la notoriété de l’école et le moyen de repérer des collaborations précieuses avec des alumni.

4.3. Evaluation des compétences

Seules 3 écoles disent procéder aux évaluations des compétences. L’une d’elle collabore d’ailleurs au sein de son PEPITE aux travaux d’une équipe de recherche sur le sujet.

Le référentiel de la CTI insiste sur l’évaluation, et celle connexe de la formation des enseignants. La question méritera d’être à nouveau explorée.

5. Pour conclure

Des points saillants peuvent être identifiés de ces trois synthèses S&ST, DD&RS et I&E : 

  • L’ensemble des écoles exprime l’engagement fort de leur Direction ;
  • Au regard de la situation d’il y a plusieurs années, les formations en DD&R et I&E se sont considérablement développées ;
  • Une vision intégrative des trois domaines dans une réflexion en profondeur des métiers d’ingénieur du futur serait des plus souhaitables ;
  • L’exemplarité de l’école contribue à donner du sens aux formations en DD&RS et S&ST aux yeux des élèves et du personnel ;
  • L’appartenance à des réseaux d’écoles facilite le positionnement des objectifs et les choix pédagogiques ;
  • L’identification des compétences est le plus souvent établie ; toutefois l’évaluation de celles-ci demeure une question majoritairement non ou insuffisamment traitée. Se pose également la question de la généralisation de l’accompagnement des enseignants dans l’acquisition des compétences nécessaires aux pratiques pédagogiques ;
  • On note un usage significatif des référentiels et outils Best en S&ST (90% des écoles du panel des écoles ayant effectué un focus), référentiel DD&RS du plan vert (40%) et le test sulitest. Ce sont des repères structurants utiles à la réflexion et à l’action collective au sein des établissements qui y ont recours. Leur usage ne saurait toutefois s’inscrire dans une approche normative et prescriptive. Il s’agit de sensibiliser dès le début de la formation et de donner envie aux élèves de développer leurs compétences dans ces domaines ;
  • Un certain nombre d’écoles tendent à intégrer le vécu des stages en entreprises dans la dynamique pédagogique. Ces pratiques vertueuses méritent d’être encouragées.